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L'EXPRESS - Interview du 12.02.2015


Interview de Marianne REY publié le 12 février 2015

"OPTER POUR LE SLOW BUSINESS, C'EST METTRE DE L'ETHIQUE DANS SES AFFAIRES"

Mieux gérer son temps et celui de ses équipes, pour une plus grande efficacité et un meilleur équilibre vie pro-vie perso. C'est le but du slow business. Interview de Pierre Moniz-Barreto, qui vient de publier un ouvrage sur le sujet.

On connaissait le mouvement Slow Food, prônant l'art de vivre au moment du repas. L'esprit Slow Business, qui consiste à réintroduire dans l'entreprise, une meilleure gestion du temps, à stopper la course à la rapidité et l'urgence à tous crins, commence elle aussi, doucement, à faire son chemin. Différentes initiatives émergent sur la planète, que Pierre Moniz-Barreto, membre fondateur de l'Association française du management équitable, a cartographié dans son ouvrage "Slow Business", tout juste paru aux éditions Eyrolles. Interview.

Qu'est-ce que le slow business ? Une apologie de la lenteur dans le monde de l'entreprise ?

Sûrement pas. Il est plutôt question de réinventer la notion de la gestion du temps au travail, et de mettre en place un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. La clé, c'est une bonne maîtrise rythmique, avec une alternance de phases de réactivité et, au contraire, de décélération. On a cru pendant des décennies que, pour devancer ses concurrents, il fallait opter pour la vitesse, en toute circonstance. Il y a d'autres moyens d'être performant. En termes de management, il faut laisser aux individus des marges de manœuvre plus larges. La logique du ROWE (Results-Only Work Environnement), par exemple, participe du slow business. Il s'agit d'un système où les employés sont autorisés à prendre pleinement le contrôle de leur temps professionnel : ils décident de façon autonome de leur agenda de travail et ne sont plus évalués au temps de présence, mais uniquement au résultat. On estime qu'entre 10 et 15 % des entreprises aux Etats-Unis ont basculé dans le ROWE. C'est une lame de fond !

Le monde anglo-saxon serait plus avancé que la France ?

C'est sûr. Le slow business se développe davantage dans la sphère anglo-saxonne . Et pourtant, la valeur travail y est sacrée. Comme quoi, cela ne veut pas dire travailler moins, mais travailler mieux. Ceci dit, en France, avec nos cinq semaines de congés payés annuels et nos RTT, nous possédons visiblement une capacité à atteindre les résultats qui sont les nôtres, dans un volume horaire modéré. Cela veut forcément dire que, sociétalement, nous avons intégré en partie le phénomène slow. Mais nous avons encore énormément de progrès à faire. Les risques psycho-sociaux sont une réalité. Et on ne compte plus les sondages dans lesquels les cadres font part de leur malaise car ils ressentent trop de pression dans leur entreprise. Cela doit nous poussez à nous interroger.

Certains dirigeants français pratiquent peut-être le slow business sans le savoir...

Il est vrai que, lorsque les Français font preuve d'initiative dans le domaine du management, ce n'est pas forcément en brandissant une étiquette ou en se revendiquant d'un nouveau concept managérial à la mode. Il y a beaucoup de "monsieur Jourdain" du slow business, qui en font sans le savoir. Je parle par exemple dans mon livre de la TPE du Nord CIV, qui propose à ses vingt-cinq salariés d'accorder leur rythme de travail et leurs rythmes biologiques (chronobiologie), avec notamment une souplesse dans les heures d'arrivée au bureau. Récemment, on me parlait encore de la société Evercontact, dont le dirigeant, Philippe Laval, s'est inspiré des grandes entreprises high-tech américaines, pour en quelque sorte faire du Rowe sans le dire. Ses salariés ont la maîtrise totale de leur agenda. Visiblement, ils prennent à peine plus de congés que si ces derniers avaient été comptés scrupuleusement.

Qu'est-ce qui, aujourd'hui, dans l'entreprise, va à l'encontre du slow business ?

Le diktat du court-termisme, sur le terrain de l'investissement. Ou bien, au quotidien, à tous les niveaux, l'absence de temps de discernement, ou temps de "latence", qui permette de prendre un peu de recul avant les prises de décision. Ou bien encore ce que Jason Fried, entrepreneur de Chicago, qui a fondé 37 Signals, appelle le "temps toxique", dans son best-seller "Rework" : les interruptions, la réunionite, l'urgence et l'excès de travail.

Le slow business impose des temps de pause, dans la journée de travail. Des années qu'on entend qu'il faudrait réhabiliter la sieste, inciter à la méditation... Dans les faits, cela ne prend pas. Pourquoi ?

La méditation, en France, c'est compliqué. Cela fleure la spiritualité, la religion. Les Etats-Unis sont beaucoup plus débridés sur le sujet. Donner aux salariés la possibilité de faire une sieste, en revanche, c'est une idée qui fait son petit bonhomme de chemin. Certaines entreprises ont passé des contrats avec des bars à sieste, dans le centre de Paris. Ce n'est pas un total flop. Mais de toute façon, apporter un meilleur équilibre au salarié peut prendre des formes diverses. Quand l'employeur monte une crèche d'entreprise, ou donne accès à une salle de sport, il répond à la problématique du slow business. La lutte contre le présentéisme est un autre levier d'action. C'est sûr, tout cela est très lent. Dans les milieux entrepreneuriaux, il y a une volonté que les choses évoluent, mais, il y a aussi une prudence innée face à des phénomènes que l'on imagine pouvoir représenter un danger pour la bonne marche de l'entreprise. Une sorte de conservatisme gaulois... Aux Etats-Unis, les gens ont davantage le sens du risque, ils hésitent moins à mettre en place des solutions alternatives.

Pourquoi, fondamentalement, réfléchir au slow business ?

Cette question relève de l'éthique des affaires. La façon dont on gère l'ensemble des parties prenantes dans l'entreprise doit être une préoccupation fondamentale. On peut pondre autant de chartes éthiques que l'on veut, ce n'est pas cela qui va améliorer les choses en pratique. A un moment où j'enseignais l'éthique des affaires en école de commerce, et où je prenais pleinement conscience du décalage entre la théorie et la pratique, la gestion du temps m'est apparue comme un des terrains où l'on pouvait agir concrètement, au même titre que le développement durable, par exemple

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